Puis-je prendre un selfie devant un monument public ?

« En Belgique, on ne peut pas photographier certains monuments, comme l’Atomium, sans autorisation. »

Voici comment débute l’article de La Libre Belgique paru le 11 août dernier et intitulé « La liberté de photographier est dans l’air ». A l’instar de l’ensemble des médias francophones, La Libre relaye en réalité une information diffusée la veille par le journal de Morgen : l’Open VLD prépare une proposition de loi (qui, à l’heure où nous publions cet article, n’a pas encore été déposée au Parlement) visant à introduire la notion de « liberté de panorama » en droit belge. Le parti estime en effet absurde qu’on ne puisse pas prendre de photo des bâtiments et œuvres d’art se trouvant dans l’espace public sans demander l’autorisation aux titulaires des droits d’auteur.

Mais est-ce vraiment le cas ? Les aficionados du selfie en plein air sont-il donc constamment sous la menace d’une infraction ?  Ces derniers jours, on a pu lire beaucoup de choses à ce sujet, dans des sens divers et pas toujours dans le bon ordre. Une petite synthèse nous semble donc utile pour bien comprendre ce qu’on peut ou ne peut pas faire avec l’appli photo de son téléphone portable.


Étape 1 : le sujet de la photo


La première question à se poser est de déterminer si le sujet de la photo est protégé par le droit d’auteur ou non. Pour bénéficier de la protection, une création doit avoir été mise en forme (une idée non formalisée n’est pas protégeable) et être originale[1]. Une œuvre d’art placée sur la voie publique répondra en principe à ces deux conditions. Un bâtiment, pas toujours, tout édifice n’étant pas forcément original. La presse a beaucoup cité l’Atomium comme exemple, celui-ci étant assurément unique en son genre.

La protection n’est toutefois pas éternelle: elle s’éteint 70 ans après la mort de l’auteur[2]. Même face à une création originale, il convient donc de vérifier si l’œuvre n’est pas suffisamment ancienne pour être tombée dans le domaine public. Le Palais de Justice de Bruxelles, par exemple, n’est pas protégé puisque Joseph Poelaert, son architecte, est mort en 1879…

Enfin, pour que la protection s’applique, il faut que le sujet de la photo soit l’œuvre elle-même. Si le bâtiment apparait dans le décor d’une photo dont le sujet est une ou plusieurs personnes (comme, par exemple, un selfie), le titulaire des droits d’auteur ne pourra pas en interdire la reproduction ni la communication au public[3].


Étape 2 : la prise de vue


En principe, le consentement de l’auteur est nécessaire pour reproduire une œuvre protégée. A cet égard, prendre une photo d’une œuvre est considéré comme une reproduction de celle-ci. Par exception, n’est toutefois pas soumise à autorisation la reproduction effectuée à des fins privées, ainsi que dans le cadre de l’enseignement ou de la recherche scientifique[4].

A priori, on imagine mal qu’un touriste prenant une photo de l’Atomium avec son téléphone agisse autrement qu’à des fins privées. Par contre, un photographe professionnel n’agira en principe pas à des fins privées.


Étape 3 : la communication de la photo


Même si la photo a été prise à des fins privées, on ne peut pas la communiquer librement au public sans autorisation. A cet égard, et contrairement à ce qu’on a pu parfois lire dans la presse, le caractère commercial ou non de cette communication n’a pas d’importance. Seul compte le caractère public ou privé (« dans le cercle de famille », dit la loi) de la communication[5].

Ainsi, la publication d’une photo d’un monument protégé sur un site internet ouvert au public (l’article d’un blog, un post Twitter, une publication sur Facebook en mode public, etc.) est interdite sans l’autorisation de l’auteur. A l’inverse, une communication limitée aux amis Facebook pourrait en principe être considérée comme une diffusion dans le cercle de famille, à moins que le titulaire du compte accepte sans restriction toute demande d’amitié ou que le nombre de ses « amis » soit tellement élevé qu’on puisse raisonnablement douter qu’il entretienne une intimité suffisante avec chacun de ceux-ci.

Par contre, il arrive que les conditions dans lesquelles les autorisations sont accordées par les ayant-droits diffèrent en fonction de l’objectif commercial ou non de la demande (par exemple, en prévoyant des tarifs différents ou en accordant l’autorisation gratuitement dans certains cas). Mais il s’agit là de règles internes, librement choisies. La législation ne règle pas cet aspect et les pratiques peuvent varier.


Conclusion : l’introduction d’un « droit de panorama » est-elle utile ?


Comme on l’a vu, bon nombre d’utilisations raisonnables d’un appareil photo sont déjà autorisées par la législation actuelle : le touriste qui prend une photo d’un monument pour réaliser un album-photo souvenir de ses vacances ou le passant qui se prend en selfie devant une œuvre d’art située dans un parc et partage ensuite la photo avec ses amis Facebook n’a donc pas de quoi s’inquiéter. En somme, seules les photographies destinées à être diffusées à une relativement grande échelle sont actuellement concernées par la nécessité de demander une autorisation.

Certes, autoriser dans tous les cas la reproduction et la rediffusion d’une œuvre dès qu’elle se trouve dans un lieu public a le mérite de rendre la loi plus facile à appliquer. Mais ne s’agit-il pas là d’une atteinte disproportionnée aux droits de l’auteur, dont le seul crime finalement est d’avoir embelli l’espace public ? Surtout que dans la majorité des cas, ce seront principalement les utilisations commerciales – expressément visées par la proposition de l’Open VLD – qui bénéficieront de la mesure ? Il ne parait pourtant pas déraisonnable de les mettre à contribution dès lors qu’il utilisent le travail d’autrui à des fins lucratives.


[1] Critères dégagés par la jurisprudence. Voyez not. l’arrêt de la Cour de cassation de France du 6 mars 1979, R.I.D.A., janvier 1980, p. 149.
[2] Art. XI.166, §1er du Code de droit économique.
[3] Art. XI.190, 2° du Code de droit économique.
[4] Art. XI.190, 9° du Code de droit économique.
[5] Art. XI.190, 9° du Code de droit économique.

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