La Belgique adopte le droit de panorama

Quiconque lit quotidiennement le Moniteur belge (hum hum…) aura remarqué que l’édition de ce jour contient la loi du 27 juin 2016 modifiant le Code de droit économique en vue de l’introduction de la liberté de panorama.

Nos lecteurs assidus se souviendront qu’une mention sur le sujet avait été publiée sur ce site en septembre 2015, faisant le point sur ce qui était permis ou non en matière de photographie de monument public. Nous avions conclu que la plupart des utilisations raisonnables de photographies de monuments étaient déjà couvertes par la législation et que seules les photos destinées à être diffusées à relativement grande échelle étaient concernées par la nécessité de demander une autorisation. La modification ne nous semblait donc pas indispensable, sauf si l’intention réelle des partisans de l’instauration de la liberté de panorama était de permettre l’exploitation commerciale de l’œuvre d’autrui sans avoir à en demander d’autorisation – intention qui nous semblait pour le moins contestable. Au moment où nous avions exprimé cette opinion, nous ne disposions toutefois pas encore du texte de la proposition annoncée par l’Open VLD.

A la lecture du texte publié aujourd’hui et des travaux parlementaires, il apparait que notre première opinion doit être confirmée. La loi du 27 juin 2016 ajoute en effet une nouvelle exception aux droits patrimoniaux de l’auteur, rédigée comme suit:

« 2/1°. la reproduction et la communication au public d’oeuvres d’art plastique, graphique ou architectural destinées à être placées de façon permanente dans des lieux publics, pour autant qu’il s’agisse de la reproduction ou de la communication de l’oeuvre telle qu’elle s’y trouve et que cette reproduction ou communication ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur; »

L’exploitation commerciale d’une oeuvre présente sur la voie publique ne nécessite donc plus l’autorisation de l’auteur de l’oeuvre, pour autant que cette exploitation « ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Cette condition semble s’inspirer du concept de « fair use« , existant en droit anglo-saxon mais jusque ici inconnu en droit continental, qui permet de faire un usage « raisonnable » de l’oeuvre d’autrui. Il va sans dire que l’imprécision du concept en fait une véritable machine à produire des litiges puisque c’est en définitive au juge qu’il appartiendra de trancher ce qui est raisonnable ou ce qui ne l’est pas. En termes de simplification, on repassera.

Une autre raison qui nous pousse à penser que l’intention des auteurs de la proposition était bien de faciliter l’exploitation commerciale des photographies de monuments publics est que les parlementaires ont, par deux fois au cours de leurs travaux (ici et ici), refusé d’intégrer une suggestion d’amendement qui tendait à exclure explicitement toute possibilité d’utiliser l’exception à des fins commerciales. On ne saurait être plus clair.

Soyons de bon compte, la nouvelle loi présente tout de même certains avantages pour les internautes dénués de toute intention lucrative. Elle devrait permettre, par exemple, d’uploader des photos de monuments belges sur des sites collaboratifs tels que Wikipédia, pour contribuer à la diffusion de connaissances. Nous aurions également pu utiliser une photo de l’Atomium pour illustrer le présent article. Cela aurait été, certes, du plus bel effet, mais la loi du 27 juin 2016 n’entrera formellement en vigueur que dix jours après sa publication au Moniteur et nous ne voulions prendre aucun risque… A bon entendeur !


Cet article a été cité dans le 4e numéro du magazine Médor, pp. 124-125.